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Les élèves du collège rencontrent Marie-Aude Murail

Ce que nous a dit Marie-Aude Murail :
Sur « Oh, boy ! »
1) Comment vous est venue l’idée d’écrire « Oh, boy ! » ?
La question est vaste : je crois que j’avais envie de faire un roman sur le sentiment fraternel. Nous sommes une fratrie très forte : 2 garçons 2 filles…Morgane me ressemble beaucoup et j’étais bien la troisième. Je voulais faire un roman sur le lien fraternel et c’est pour ça que je me débarrasse discrètement des parents.
2) Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce roman ?
Je peux te répondre 5 mois et en même temps ça ne veut rien dire. Vous connaissez Picasso ? Quand on lui demandait combien de temps il mettait à faire un tableau ; il a répondu 5mn et toute la vie. Ce qui peut prendre le plus de temps c’est de vivre 24h / jour. En ce moment, je n’écris pas, ça fait 8 mois, ça me stresse un peu mais…Un autre exemple, Racine qui répond à un ami : « Ma tragédie ? Je l’ai presque finie : je n’ai plus qu’à l’écrire. »
3) Pour l’adaptation théâtrale du roman, avez-vous rencontré Catherine Verlaguet et Olivier Letellier ?
Non. Je ne regarde surtout pas ce que font les autres créateurs, même les illustrateurs.
4) Que pensez-vous de cette adaptation ?
Alors sur le moment ce fut un petit peu douloureux car j’ai cherché mon roman. La première fois, j’ai attendu pendant une heure que la pièce commence. Au bout de la troisième fois, en tant que pièce de théâtre, si je ne vais pas chercher mon roman, c’est bien… La preuve, c’est que ça tourne encore et qu’ils ont du succès.
5) Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sur l’homosexualité dans un roman pour la jeunesse ?
C’est le « dans un roman pour la jeunesse » qui est la vraie question… Vous êtes capable de tout entendre, de tout voir, non ? Ce qui vous choque, c’est qu’on en parle en classe. Moi, j’avais envie d’une certaine liberté ; effectivement, il y a des écarts de langage. J’avais envie de mettre un personnage homosexuel. Pour écrire, il faut une motivation : pour moi, c’est de m’identifier à un personnage, mais pas n’importe quel personnage. Je m’identifie très facilement à un débile mental par exemple ou à un personnage qui doute de son identité sexuelle.
6) Vous êtes-vous inspirée de votre vie pour écrire ce roman ?
Oui, beaucoup. Il y a ma petite fille, elle a failli s’appeler Venise. Il faut dire que je l’ai eue à 40 ans. Elle s’appelle Constance, c’est un joli prénom car il m’en a fallu de la constance… Ma fille de 3 ans jouait aux barbies et dessinait des cœurs ou des diables …
Sur son métier d’écrivain
7) Quel genre de roman préférez-vous écrire ?
En fait, j’essaie un peu de tout : ce qu’il me faut c’est de l’humour et du suspense. Mais on peut faire autre chose que du suspense policier : on peut faire du suspense médical : est-ce qu’il va guérir ou non ? J’aime bien le policier, on appelle ça une machine à lire. Il faut nourrir le roman policier avec plein d’autres choses. Ce que j’aime bien, c’est du roman de société qui peut s’appuyer sur du policier. Sinon c’est juste un petit secret et c’est décevant.
8) Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?
9) Où trouvez-vous votre inspiration ? Est-ce que vos histoires sont inspirées par votre vie personnelle ou celles de vos amis et connaissances ?
Je prends mon bien un peu partout. Par exemple, quand j’ai écrit « Maïté coiffure », je me suis inspirée de mon fils, c’est un taiseux…Il devait faire un stage comme mon personnage. Je recycle un peu tout.
10) Quel genre de roman préférez-vous lire ?
Je lis de tout : de la bande dessinée, des essais, des magazines ; les romans ne sont pas ma littérature préférée, j’en ai lu beaucoup mais maintenant, j’aime bien ce qui fait réfléchir ; en ce moment, c’est Hannah Arendt, ça explique beaucoup de choses.
Sur son œuvre
11) Pourquoi avez-vous décidé d’écrire des livres pour la jeunesse ?
J’écrivais pour les adultes et puis une amie m’a parlé de Pomme d’Api … J’ai regardé comment c’est fait…
« Pomme d’Api » c’est 5 pages de 1500 signes.
Pour les petits, c’est du présent parce que le passé simple… « Vous m’épatâtes… » Mais ils m’ont dit que c’était pas bien… Mon humour, c’était pour les plus grands…et le passé simple aussi…Pourtant, le passé simple, c’est la baguette magique du français…, c’est « Et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »…
12) Pourquoi pensez-vous que faire finir mal un livre pour la jeunesse est « une faute professionnelle » ?
C’est mon opinion personnelle. Michel Tournier dit que ce qu’attend un enfant dans un livre, c’est le bonheur. C’est pas toujours du conte de fée… D’ailleurs dans « Oh, boy ! », c’est pas à l’eau de rose. Le philosophe Alain a dit : « L’état d’homme est beau pour celui qui y va avec toutes les forces de l’enfance. » Un enfant a envie de grandir, il a envie de devenir adulte. Alors, il ne faut pas le décourager. Il faut que ça donne envie de grandir, que ça donne la pêche… Il faut donner le meilleur de soi pour que l’enfant ait envie de lire. « Les enfants, je vous interdis de désespérer » disait un grand pédagogue.
13) Comment avez-vous travaillé avec vos frère et sœur pour « Golem » ?
On a passé 2 ans sur les 5 livres. On était dans la maison de notre père et on se racontait l’histoire, ma sœur prenait des notes et écrivait ensuite un brouillon, le « rail » et Lorris et moi, on se partageait l’écriture mais chacun ses personnages. Pas de grosses disputes… mais il y a une chose que je sais, c’est que je ne recommencerai pas.
14) Présentez-vous vos livres à l’étranger ?
Je vais à l’étranger, dans quelque temps, je vais en Allemagne. Bientôt en Sardaigne etc… J’ai un interprète, je ne parle pas toutes les langues mais mes livres sont traduits.
15) Lequel de vos livres préférez-vous ?
Je n’ai pas de préférence.
16) Quel livre a été le plus long à écrire ?
Le plus long, c’est le plus gros : « Miss Charity » 7 ou 8 mois mais je ne compte pas…
17) Ecrivez-vous un livre en ce moment ?
Non : si je l’écrivais, je me porterais mieux mais je lis beaucoup …
18) Quand comptez-vous arrêter d’écrire des livres ?
Il n’y a pas d’âge légal de retraite pour les écrivains… en réalité, la vraie retraite des écrivains, c’est la retraite des lecteurs. A partir du moment où vous ne me lisez plus…
19) Pourquoi écrivez-vous aussi bien des romans policiers que fantastiques ou que de mœurs ?
C’est pour ne pas m’ennuyer…pour me renouveler… J’en ai marre de voir tous ces mêmes romans…mais ce n’est pas facile de se renouveler.. Je me dis « bouge de là, bouge de là »… mais ce n’est pas facile.
20) Existe-t-il d’autres adaptations théâtrales ou cinématographiques de vos œuvres ?
Au théâtre, « Ma vie a changé » et « Miss Charity » est en train d’être adapté… Au cinéma, « On choisit pas ses parents » mais c’est nul ou « Simple » qui est regardable. C’est difficile pour moi d’apprécier…
Sur sa vie
21) Quel est le livre que vous avez préféré dans votre jeunesse ?
Je suis la petite fille des Tintin…Je les ai tous lus. Le capitaine Haddock, je trouvais qu’il ressemblait à mon père… J’étais un peu amoureuse de lui.
22) A quelle occasion avez-vous rencontré l’œuvre de Charles Dickens ?
En fait, ce ne sont pas ses livres les plus célèbres que j’ai lus. Mon papa avait 2 livres de Dickens dans sa bibliothèque qui allait jusqu’au plafond. Alors pourquoi est-ce que je lisais ? C’est que je m’ennuyais… Il n’y avait rien à faire, c’était le désert … alors après Zorro en noir et blanc, quand tu ne sais plus quoi faire, tu lis… Moi j’aimais bien les beaux livres : j’en ai vu un en cuir, doré sur tranche. Son titre : « Les papiers posthumes du Pickwick club » et au deuxième chapitre, j’ai commencé à comprendre… et ça m’a fait rire ... Je l’ai lu et puis j’en ai cherché un deuxième, belle couverture bleue avec les mêmes petits dessins … « Notre ami commun » avec Eugene Wrayburn. Et je suis tombée amoureuse … J’ai même tatoué ses initiales sur mon poignet E.W. J’aime toujours Dickens et j’ai un fils qui s’appelle Charles…
23) Pourquoi aimez-vous tellement son œuvre ?
Il m’a fait comprendre pourquoi je lisais : ce que je vais chercher dans les livres : des émotions, rire, pleurer, aimer etc, bien sûr mais aussi il faut que ça me change les idées et puis que ça ouvre l’imaginaire ; ça ouvre une fenêtre et ça ferme la parenthèse. Dickens donne tout ça … Et puis après j’ai voulu savoir qui c’était Dickens et sa vie est un roman…
24) Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ?
D’une certaine manière, je viens de te répondre : quand j’ai compris ce que Dickens me donnait, je me suis dit « moi aussi je donnerai ça à quelqu’un », « moi aussi je raconterai des histoires »…
25) Vous avez commencé à écrire à 13 ans : qu’est-ce que c’était ? L’avez-vous gardé ?
J’ai écrit effectivement vers 12-13 ans et je l’ai jeté à la poubelle. Mais je l’ai, ma sœur est allée le chercher dans la poubelle et elle l’a gardé pendant 20 ans puis elle me l’a rendu. Voilà : c’était des histoires pour ma petite sœur : des histoires comme celles du club des cinq avec des contrebandiers par exemple et puis des histoires d’animaux avec des ours et des renards…Je faisais même le courrier des lecteurs… Comme ma mère qui était journaliste. J’en ai jeté d’autres.
26) Vos frères et sœur vous ont-ils influencée pour devenir écrivain ?
C’est sûr ! C’est un peu comme si je n’avais pas eu le choix. En plus c’est moi qui me suis décidée la dernière. Je n’osais pas en fait. Il y a eu un moment où je ne pouvais plus voir ma famille ; j’ai eu un moment de rupture. Après, c’est un peu comme si je réintégrais le clan.
27) Est-ce vous qui avez rédigé votre page wikipédia ? }
Non.
28) Qu’avez-vous ressenti quand on vous a décerné la Légion d’honneur ?
J’étais assez surprise… Ils m’ont téléphoné pour me prévenir et j’ai cru que c’était une blague… mon éditeur aussi d’ailleurs. J’ai finalement trouvé quelqu’un pour me la remettre : c’est une femme qui a fondé une association contre la violence au volant ; elle a perdu ses deux enfants dans un accident. Au lieu de s’enfoncer dans la douleur, elle a fondé cette association ; j’ai trouvé que c’était bien que ce soit elle qui me la remette.
29) Qu’aimeriez-vous dire à un auteur qui commence ?
« Go on, vas-y ! Lance- toi ! » Il y a une chose qu’il faut savoir, c’est qu’on va avoir besoin de toi en tant que créateur… Vous êtes la génération montante, on a besoin de vous : si tu penses avoir quelque chose à dire, lance-toi ! Mais comment se préparer à ça ? Il faut se nourrir pour écrire, c’est inévitable…
En bonus…
30) Que diriez-vous à quelqu’un qui n’aime pas du tout lire ?
Ce n’est pas qu’il n’aime pas lire : c’est qu’il n’a pas fait La rencontre…Comme Montaigne qui disait de son ami « Parce que c’était lui, parce que c’était moi »… Un livre, c’est la même chose : c’est une rencontre et c’est une rencontre amoureuse. Ceux qui disent qu’ils n’aiment pas lire, souvent c’est qu’ils ont du mal à déchiffrer, ils lisent trop lentement pour avoir le plaisir de lire … Et ils n’ont pas fait La rencontre…
31) Qu’est-ce que ça vous apporte de rencontrer des lecteurs ?
C’est un métier solitaire… On peut parfois avoir l’impression qu’on n’existe pas vraiment. Les lecteurs ? ça me motive. J’écris pour être lue. Cela me redonne de l’énergie. Je sais pour qui j’écris. Pour eux qui changent. Cela fait 20 ans que j’écris, et depuis 20 ans, ils ont changé, ce ne sont plus les mêmes.
32) Est-ce qu’il y a des thèmes qui vous intéressent ?
Oui. Par exemple, j’aimerais bien parler de manière sympathique du monde politique, de quelqu’un qui aurait une vocation. Moi, j’aime parler des vocations. J’aimerais bien aussi parler de la prostitution des très jeunes parce que j’ai lu des histoires comme ça mais le problème, c’est que pour moi qui suis une humoriste, c’est parfois difficile d’écrire à partir d’histoires trop dures. Ma question c’est : est-ce qu’on peut rire de tout ? Est-ce que je peux trouver un angle qui permette quand même de retrouver le sourire à la fin ?
Je ne peux pas penser qu’un livre n’ait pas d’humour, comme Roald Dahl. Et comme je suis une écorchée et que je trouve la vie plutôt insupportable, toujours j’essaie de remonter vers la lumière et toujours j’essaie de trouver l’angle qui rende la vie supportable. Un livre sans humour, c’est la vie insupportable.
33) Pour le mot de la fin, qu’aimeriez-vous leur dire ?
« Bon appétit ! Ayez faim de tout ! »